L e s D o s s
i e r s |
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Le Mendiant contre la loi de la jungle... |
– Vous vous souvenez lorsque je vous ai rabroué tout à l’heure ? J’ai réagi vivement parce que vos propos reflétaient un schéma de pensée malheureusement trop courant de nos jours : devenir le meilleur afin de survivre à la loi de la jungle. – Je ne vois pas ce qu’il y a de répréhensible à cela. – La fantastique diversité biologique s’est probablement moins construite sur la sélection naturelle que sur la collaboration entre les espèces. Regardez donc l’homme à sa naissance : complètement vulnérable ! Sans le soutien d’adultes, l’enfant n’aurait aucune chance de survivre, de même que sans la collaboration entre les hommes, l’humanité n’aurait jamais connu de progrès ou de civilisation. Comprenez-le bien, jeune homme, la véritable loi naturelle de survie et de croissance n’est pas d’être au-dessus mais avec les autres ! Vous voulez vous développer ? Fort bien, mais posez-vous au préalable les questions suivantes : le faites-vous pour vous épanouir et gagner en liberté ou simplement pour surpasser les autres ? Votre démarche est-elle personnelle ou bien téléguidée par le système ? Il est évident que la loi de la jungle plaît aux puissants : soit j’y arrive et je deviens plus performant, plus riche et plus consommateur, soit je n’y arrive pas et je deviens alors frustré, mais tout autant consommateur afin d’oublier mes frustrations. – Je pourrais aussi me révolter…
Dialogue entre la Bibliothécaire et Samuel |
La théorie de l’évolution de Charles Darwin, fondée sur la sélection naturelle des plus aptes comme unique facteur de développement (la fameuse « loi de la jungle ») est en train d’être mise à mal par des scientifiques courageux. Pourquoi courageux ? Parce que le dogmatisme serait tel que remettre en cause la doctrine darwinienne serait « la garantie de ne plus publier dans les grandes revues et donc de perdre ses financements de recherche » selon les dires de biologistes anonymes au magazine Sciences et Avenir. La loi du plus fort plait aux puissants… « Le système capitaliste avait besoin
d’une théorie du progrès, ainsi que d’une
justification naturaliste de l’individualisme et du triomphe
des meilleurs. » rappelle le botaniste Jean-Marie Pelt dans son
ouvrage « La solidarité chez les plantes, les animaux, les
humains » (Fayard 2004, p. 113). Selon lui, les thèses de Darwin
ont été interprétées et extrapolées bien au-delà des intentions de
l’auteur : le darwinisme social, ce n’est pas du Darwin ! Pelt cite
ainsi la réaction du naturaliste russe Kropotkine, auteur d’un
ouvrage sur les mécanismes d’entraide : «
Ce qu’ils ont fait de Darwin est abominable […] Ils ont réduit le
concept de lutte pour l’existence à sa signification la plus étroite
; […] ils ont fait retentir dans la littérature moderne le cri de
guerre « Malheur aux vaincus ! », comme s’il s’agissait du
dernier cri de la biologie ; ils ont élevé la lutte sans pitié pour
l’avantage personnel au rang de principe biologique auquel l’homme
même doit se soumettre sous peine de succomber dans un monde fondé
sur l’extermination réciproque. Ils ont proclamé « anéanti »
quiconque est plus faible que toi : c’est ce que veut la loi de la
nature. Mais cela n’est absolument pas une loi de la nature ; […]
» (op. cit., p. 116) |
10% d’un homme ? Extraits de
l'Obsession de la performance |
Le business du développement… D’où venait donc cette conception surnaturelle des pouvoirs cachés de l’homme ? C’est William James, le célèbre psychologue américain, qui énuméra cette théorie. Elle fut ensuite reprise par la plupart des manuels de développements personnel, ainsi que nombre de sectes, gourous et même par Einstein : notre cerveau tourne à bas régime et nous avons en nous des capacités prodigieuses de développement. Nous pourrions être intellectuellement dix fois plus que ce que nous sommes ! Le marketing du développement personnel était lancé… |
L’expression « développement personnel » est rassurante en
apparence […] Un homme aurait décidé librement de s’améliorer. Si
tel était vraiment le cas, il n’y aurait rien à redire […] Le
développement personnel offrirait ainsi des outils pour se faciliter
la tâche et être au contrôle de sa vie. Il viserait le « savoir être
» plutôt que le « savoir faire » […] C’est dans cet esprit que j’ai
écrit
L’Alchimie du Succès
en 1994. La figure du surhomme plane au dessus de
nos têtes. Elle nous donne peut-être une perspective mais elle nous
fait surtout de l’ombre [...] Frustrations de se croire
potentiellement surpuissant mais de ne se trouver, en face du
miroir, que finalement très ordinaire. Sentiments d’injustice, de
honte et donc finalement de mal-être : dans un monde qui honnit
l’erreur, demande la perfection et place les hommes en compétition
permanente, les frustrations et le stress ne peuvent que se
généraliser… Extraits de
l'Obsession de la performance |
Le développement du personnel pour détourner l’attention ? De même, ce que je pense être ma liberté de développement ne serait-il pas teinté de manipulation ? Le développement personnel ne serait-il pas, au moins dans une certaine mesure, le développement du personnel, voire le dressage du personnel ? Il est évident que devenir « plus » va dans la logique consumériste d’un système économique et politique basé entièrement sur la croissance et la consommation. |
Pour tourner correctement, le système a en effet besoin de personnes
toujours plus riches et performantes, c'est-à-dire condamnées à
l’insatisfaction. Le système redoute le bien-être des individus : «
La sensation de bien-être peut-être l’une des plus désastreuses
que nous puissions expérimenter. Qu’arrive-t-il quand
on se sent trop bien ? On arrête de se développer, de
travailler, de créer de la valeur ajoutée. Ne cherchez pas trop de
bien-être. Si vous vous sentez vraiment bien, il y a des chances
pour que vous ayez cessé d’avancer » met en garde Antony Robbins
à la fin de son livre. (Pouvoir illimité, Editions Robert Laffont,
p. 364). Sous cet aspect, le développement personnel devient un
mouvement perpétuel, une machine à gaz visant à la rentabilité
maximale de l’homme.
Extraits de
l'Obsession de la performance |
La démesure de l’intelligence… Coluche disait que si tous les hommes étaient égaux, certains étaient plus égaux que d’autres. Nous pourrions le paraphraser en disant que certaines personnes semblent aussi plus hommes que d’autres : ils sont grands, beaux, intelligents, en bonne santé,… Nous n’aimons pas être confrontés à ces exemples de perfection : ils nous renvoient à nos propres faiblesses. De là toutes les blagues sur les blondes, censées représenter l’idéal féminin chez les hommes : « Elle est belle et donc doit être bête ! »
« [Si l’homme veut] toujours être tendu, il n’en sera que plus
sot, parce qu’il voudra s’élever au-dessus de l’humanité, et il
n’est qu’un homme, au bout du compte, c'est-à-dire capable de peu et
de beaucoup, de tout et de rien : il n’est ni ange ni bête mais
homme […] L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui
veut faire l’ange fait la bête.» (Pascal, Pensées) |
Le mythe du QI est sur le point de se
terminer.Cette mesure de l’intelligence n’a jamais été très sérieuse
de toute façon : lorsqu’un journaliste demanda à son inventeur, le
psychologue Alfred Binet, ce qu’il entendait par intelligence, il
répondit sans sourciller : « C’est ce que mesure mon test ! »
L’intelligence était ce qu’il avait décidé qu’elle serait : ce
n’était pas le QI mais le QB ou Quotient Binet.
Son objectif était au départ de mesurer les défaillances
intellectuelles des enfants retardés afin de leur proposer un
enseignement spécifique. La mesure se faisait ainsi par la négative
: mettre en évidence ce qui manquait. D’un outil scolaire légitime
et spécifique, nous sommes pourtant progressivement passés à des
études comptables et généralisées. Extraits de
l'Obsession de la performance |
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Des performances physiques démesurées… Un esprit sain dans un corps sain… Partant de l’idée que ce qui s’applique à l’esprit doit aussi s’appliquer au corps, certaines personnes tentent d’atteindre 100% de leurs capacités physiques (certains, comme les culturistes, tentent même d’aller au-delà) : les sportifs professionnels. « Qui gagne sur son corps gagne la course ! » déclare ainsi un slogan sportif. Logique, si l’on considère que le mot « athlète » dérive du mot grec « athlos » qui signifie la guerre… |
Le sport est certainement bon pour la santé mais pas tous les sports
et pas à n’importe quelle dose. Les sportifs
professionnels sont un peu dans la même situation vis-à-vis des
sportifs amateurs que les industriels vis-à-vis des artisans : ils
sont prêts à trop de choses pour gagner et cela conduit à de
nombreux excès : ainsi au moins 10% des sportifs, soit 1,5 à 2
millions de personnes pourraient avoir ou ont eu
recours au dopage selon le Pr. Gallien de la commission
antidopage. « Décès suspects, risque de cancers et de maladie de
Creutzfeldt-Jakob, drogues… Le sport de haut niveau perd de sa magie
dès que l’on regarde en coulisses. » résume une journaliste
(Georges Golbérine, Dopage : toujours plus !, Sciences et
avenir, Avril 1997, p. 63) Résultats, l’espérance de vie, dans
certaines disciplines, est dramatiquement basse : une quarantaine
d’années chez les footballeurs américains par exemple…
Extraits de
l'Obsession de la performance |
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