Benoît Saint Girons
D e l ' a i r !
O p é r a t i o n L i b ' a i r t é !
C'est l'histoire d'une prise de conscience...
On ne compte plus les articles ou les prises de positions en faveur de
l'écologie et c'est tant mieux! Mais, d'un autre côté, on ne compte plus non
plus les 4x4 aux centres des villes... Et là, on se dit qu'il y a incohérence...
C'est fort de ce constat que j'ai décidé, en Avril 2007, de m'atteler à la
rédaction d’un nouveau conte à rebours, écologique cette fois : De l’air !
Dans mon esprit, il ne sert en effet à pas grand-chose de pointer du doigt en
disant « polluer, c’est pas bien ! ». Nous en avons l’illustration avec la
cigarette : ostraciser un comportement peut même avoir l’effet inverse.
Infantiliser ou complexer les citoyens n’est pas la solution.
Les responsabiliser alors, en leur expliquant à quel point le système les
manipule ? C’est l’idée centrale derrière ce conte : nous commettons tous des
erreurs et nous n’aimons pas les directives… mais nous aimons encore moins
passer pour des naïfs, des vaches à lait ou des cobayes !
La remise en cause du système passera par l’information et par la réflexion: si
j’apprends à quel point je suis manipulé, je ne vais pas forcément me révolter
mais je vais peut-être changer mes habitudes...
Ce nouveau conte à rebours aborde, sous l'aspect d'une petite histoire aux
multiples rebondissements, la plupart des problématiques de la pollution. Il
possède ainsi plusieurs niveaux de lectures: on peut se contenter de lire
l'histoire mais on peut aussi la reprendre sous l'aspect des données techniques
précises.
Ce ne sont en effet pas les scandales qui manquent! Mais au-delà des
révélations, c'est l'articulation de l'histoire elle-même et les nombreux
rebondissements qui donneront le plus matière à réflexion... Jusqu'où
devons-nous ne pas aller trop loin ?
L’arrivée
On n’avait pas vu cela depuis le 11 Septembre: durant une dizaine d’heures, la
Terre s’arrêta presque de tourner. Le temps, pour les Occidentaux, de reprendre
leur souffle…
Tout le monde se précipita sur les images de la télévision : trois énormes
engins étaient stationnés au dessus de la forêt amazonienne. Trois sinistres
cylindres en forme de gros Zeppelin métalliques.
Les journalistes et les experts soulignaient avec beaucoup d’emphase qu’ils
n’avaient pas grand chose à dire :
Les radars attestent de la présence des engins au dessus du Brésil mais d’autres
ont été détectés en orbite terrestre… Leur taille est d’environ trois terrains
de football de long sur deux de large…
Les vaisseaux sont en position stationnaire. Aucune activité n’a pour le moment
été détectée...
Le gouvernement est en réunion de crise et invite la population à garder son
calme. L’armée est en état d’alerte…
Les intentions de ces visiteurs sont inconnues mais leur choix d’une zone peu
peuplée pourrait signifier des intentions scientifiques… L’aspect des vaisseaux
ne présente, en l’état, rien de menaçant…
Enfin nous savons : nous ne sommes pas seuls dans l’univers…
La caméra alternait entre des zooms sur la carlingue des vaisseaux et des plans
larges sur la mer végétale, quelques centaines de mètres en dessous.
L’importance de l’événement fut corroborée par l’absence de coupure
publicitaire. Aucune marque, aucun logo, aucun sponsor n’importunèrent la
retransmission : un vrai phénomène extraterrestre !
Mais, pour le coup, on s’ennuyait ferme…
« Il se passe quelque chose ! » hurla soudain le commentateur, provoquant
quelques palpitations chez les téléspectateurs assoupis.
Un trou béant se forma sous chaque vaisseau…
… et les monstrueux tuyaux à entonnoirs apparurent.
Le journaliste ne pu s’empêcher de jurer : « Non mais ce n’est pas vrai… C’est
incroyable… Ces salopards viennent nous pomper notre air ! »
J'ai écrit la première "mouture" de ce conte en une semaine mais j'avais un
avantage certain: mon frère Antoine m'avait déjà donné les idées de base: une
invasion extra-terrestre, l'exploitation de l'air et cette très mystérieuse
pilule que nous découvrirons plus tard... Qu'il en soit ici remercié!
Une fois la première esquisse en place, il y a eu à nouveau un gros travail de
relecture et de fignolage... Comme pour mon précédent conte (Le Mendiant et le
Milliardaire), j’ai à nouveau eu tendance à mettre trop de choses. Il a fallut
élaguer !
La figure d’Hélène, la saillante trentenaire responsable de l’Association
Lib’airté, ne figurait pas non plus dans la première version… Nous la découvrons
ici, dans le second chapitre:
Manifestations
Les crises d’asthmes et de toux se multiplièrent. Les médecins croulèrent sous
les appels mais, impuissants à expliquer le phénomène, ils eurent beaucoup de
mal à convaincre leurs patients désemparés qu’il n’y avait « rien de grave »,
que tout était normal.
L’idée que le poumon de la planète était progressivement vidé de son oxygène
avait marqué les esprits. Chiffres à l’appui, les ponctions des « visiteurs »
semblaient considérables.
Selon les sondages, 63.4% de ceux qui avaient assisté à la scène notèrent une
dégradation de la qualité de l’air. Le pourcentage grimpa même jusqu’à 86% dans
certaines villes. Près de 22% des sondés affirmèrent en outre éprouver une gêne
respiratoire.
Des centaines de milliers de personnes descendirent ainsi spontanément dans les
rues pour réclamer du gouvernement des mesures rapides et concrètes : imposer un
moratoire sur le pillage des ressources terrestres, renvoyer les envahisseurs
chez eux et, pour faire bonne mesure, garantir une fois pour toutes à chaque
citoyen un air de qualité !
C’est à cette occasion qu’Hélène Loutrevil fut interviewée pour la première
fois. Saillante trentenaire, elle tenait à la main une pancarte dont le slogan
allait bientôt être repris dans tout le pays : « De l’air ! » Elle fut présentée
comme la présidente de l’Association Lib’Airté.
– Pourquoi manifestez-vous, lui demanda le journaliste ?
– Je suis dans la rue parce que je n’aime pas du tout le programme qui passe en
ce moment à la télé, répondit Hélène. Impossible cette fois-ci de zapper ou de
s’endormir. Le danger est trop grand pour rester inactif!
– Vous pensez réellement pouvoir faire une différence ?
– Maintenant que vous me donnez la parole, certainement ! J’aimerais ainsi
lancer un appel à tous les citoyens qui nous regardent et qui souhaitent
continuer à respirer librement : sortez et venez nous rejoindre ! On respire
bien mieux dans la rue de toute façon… (1)
– Votre slogan « De l’air ! », à qui s’adresse-t-il ?
– Il s’adresse d’abord, c’est évident, à ces sangsues qui viennent nous pomper
nos vies : rentrez chez vous, du vent, du balai, de l’air ! Malheureusement,
comme je doute que ces vampires comprennent nos injonctions – aussi amicales
soient-elles – cela s’adresse aussi à nos gouvernants : à défaut de nous
débarrasser de ces parasites, travaillez au moins à limiter les sources de
pollution. La respiration est un droit absolu et nous entendons libérer l’air de
toutes les saloperies terrestres ou extra-terrestres qui s’y trouvent. C’est
cela la lib’airté !
– Les manifestants ont bloqué l’accès des voitures aux centres villes. Votre
slogan viserait-il également les conducteurs ou les pollueurs du dimanche ? (2)
– Pourquoi du dimanche ? C’est tous les jours, 24h/24 que nous polluons ! Vous
comme moi ! L’astrophysicien Hubert Reeves a dit que la pollution n’était pas un
gros problème mais six milliards de petits problèmes. Un gros problème, cela
l’est devenu depuis hier mais cela n’en demeure pas moins avant tout une
responsabilité individuelle !
– On a assisté en marge des manifestations à des scènes d’agressivité: des
conducteurs de 4x4 ont eu leurs véhicules endommagés tandis que des sportifs et
des obèses, même, ont été accusés de trop respirer. Qu’en pensez-vous ? (3)
– Tout cela est ridicule et je n’en pense évidemment rien de bon. Ce n’est pas
en stigmatisant tel ou tel comportement que nous obtiendrons des résultats.
C’est devant notre porte qu’il convient de balayer ! Une prière indienne dit de
ne « jamais juger un autre avant d’avoir chaussé ses mocassins pendant au moins
trois semaines ». Je suis persuadée que cela marche aussi avec les 4x4…
– Le ministre de l’écologie Claude Egrella vient d’assurer que l’air restait en
quantité et en qualité bien suffisante, que l’activité des visiteurs était pour
le moment imperceptible et que les scientifiques trouveraient nécessairement une
solution adéquate…
– C’est sa vérité et je suis sure qu’il la partage, répondit Hélène. Pour ma
part, je ne m’autoriserai pas à faire des commentaires sur la température sans
disposer d’un thermomètre fiable. Or, comme vous le savez, les critères adoptés
pour mesurer la qualité de l’air ne prennent en compte qu’une partie des
polluants. (4) Les citoyens ne sont peut-être pas tous des scientifiques de haut
niveau mais ils pratiquent la respiration depuis un certain nombre d’années et
ils ne se la laisseront pas compter par des technocrates dans des ministères
climatisés! Il est improbable que l’oxygène se soit raréfié en 24 heures de
pompage mais cela ne peut qu’empirer si nous ne faisons rien. J’invite donc tous
les citoyens à être vigilants et à faire pression pour que le gouvernement
prenne ses responsabilités. Lib’airté, Air’galité, Frat’airnité !
C’est ainsi qu’Hélène, jouant habilement de son charme et de son esprit, réussit
à prolonger son quart d’heure de gloire télévisuelle. Pour les téléspectateurs,
elle devint immédiatement la sympathique représentante de tous les « Airbivores
»
…et la bête noire de nombreux puissants !
Notes techniques:
(1) Dès 2002, le magazine Que Choisir alertait les Français: « Trois logements
sur quatre pollués par des substances chimiques. » En cause, le radon, les
revêtements de sol, les peintures mais aussi les meubles en agglomérés ou les
parfums d’ambiance chimiques… « Entre douze et quinze heures par jour, nous
respirons un air bien plus pollué que celui de nos rues. Et ça se passe chez
nous, à la maison ! […] Dans un logement sur deux, le taux de poussières fines
(venue entre autres des sols plastique) est supérieur au maximum acceptable pour
l’air extérieur. […] Les fabricants de meubles […] pourraient être obligés
d’afficher les niveaux d’émission de leurs bois contreplaqués et agglomérés. »
précisait le magazine Capital de Février 2007.
(2) Avec 8 000 tonnes de produits phytosanitaires par an, les jardiniers du
dimanche seraient responsables d’un quart de la pollution des eaux douces en
France…
(3) Des chercheurs Américains ont calculé que l’obésité entraînait chaque année
la consommation de 4 milliards de litres d’essences supplémentaires, établissant
une relation claire entre la consommation de nourriture et celle de pétrole.
(William Reymond, Toxic, Flammarion, 2007, p. 46)
(4) Selon l’association Ecologie sans Frontière, 54 % des Français ne font pas
confiance à l'information délivrée par les pouvoirs publics sur la qualité de
l'air… « L'air ambiant de l'agglomération parisienne est pollué par une mixture
de substances qui ne font pas toute l'objet d'une réglementation. Certains
polluants sont insuffisamment, voire pas du tout surveillés », détaille Franck
Laval, le président de l'association. C’est notamment le cas des particules
fines émises par les moteurs Diesel, qui représentent 55 % du parc automobile
français : elles ne font l'objet d'aucune réglementation ! (Ce qu'on vous cache
sur la pollution en Ile-de-France, Charles de Saint Sauveur, Le Parisien, 07
juin 2007)
Ce conte sera-t-il jamais terminé ? Je suis très satisfait de la présente
version mais en sera-t-il de même demain ? Les remarques des lecteurs me sont
toujours précieux et les scandales n'arrêtent pas de tomber...
Je trouve aussi intéressant de travailler sur un concept plutôt que sur un
énième livre qui, une fois publié, est gravé une fois pour toute! Internet offre
en outre une bien meilleure réactivité qu'un éditeur traditionnel (il faut une
année pour publier un livre or il y a urgence!) et, encore une fois, les
scandales n'arrêtent pas de tomber...
L'arrogance de cet extra-terrestre Teessmy par exemple, dans le troisième
chapitre:
Le Teessmy
Nombreux sont ceux qui furent déçus – mais aussi dans un sens très rassurés – de
découvrir que les visiteurs nous ressemblaient. Seule la couleur de leur peau
laiteuse et leurs yeux orangés trahissaient leur mystérieuse origine.
Ils établirent la communication 48 heures après leur arrivée. Craignant pour
leur sécurité, il était hors de question pour eux de mettre pied à Terre. Ils
utiliseraient les ondes pour présenter leurs intentions…
Le représentant des visiteurs, un dénommé Veltrouil, commença par présenter sa
civilisation. Son français était étrangement académique mais sa voix, qui
louvoyait vers les aigus, émettait un léger sifflement. Beaucoup perçurent cette
caractéristique comme un signe de menace…
« Nous venons de la planète Xispasnète. Sa localisation importe peu car vous
seriez incapable avec votre technologie primitive de la repérer. Disons qu’elle
se trouve « bien au-delà de votre horizon »…
J’appartiens à la civilisation Teessmy. Notre civilisation traverse aujourd’hui
une crise majeure. Il y a des erreurs que l’on ne peut plus corriger…
Il fut un temps où notre planète était recouverte de végétation. Elle était
alors respirable. Tel n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis environ un siècle,
nous vivons sous bulles, calfeutrés dans nos villes, prisonniers du confort de
nos appartements… Vous voyez sur notre peau le résultat d’un manque de soleil…
Voici à quoi ressemble une ville Teessmy… »
L’image d’une cité moderne apparut. Plusieurs bulles géantes reliées par des
tuyaux translucides. Il y régnait étrangement peu d’activité. Veltrouil expliqua
que les Teessmy, afin de limiter leur consommation d’air, avaient pris
l’habitude de rester confinés chez eux.
Sortir était une activité réservée aux riches : le gouvernement prenait bien en
charge l’air des couloirs publics mais il était d’une qualité détestable.
Revêtir une combinaison coûteuse était le seul moyen d’éviter les maux de tête…
« Voici maintenant un appartement Teessmy typique… »
Un zoom avant permit de rentrer dans un minuscule appartement aux murs
constellés d’écrans. « Nous ne pouvons plus visiter le monde, alors nous le
faisons venir à nous, reprit Veltrouil. Nous manquons de place alors nous jouons
sur les perspectives. Chaque Teessmy dispose d’un visiophone lui permettant de
s’évader et de communiquer avec tout un chacun en trois dimensions. Chaque
famille vit ainsi à la fois isolée et en contact permanent avec ses amis… »
Veltrouil réapparut à l’image. Sa voix fut grave lorsqu’il continua :
« Je suis ce que vous nommez je crois un prospecteur… Je sonde les planètes à la
recherche des gisements d’air. Je les exploite et je revends l’oxygène raffinée
à mes concitoyens. Comme mon gouvernement prélève une lourde taxe sur
l’importation des produits pressurés, il a tout intérêt à la pérennité de mon
business et je dispose d’une grande liberté de manœuvre…
L’oxygène que nous rapportons de nos expéditions sert à nous maintenir en vie.
L’air de votre planète est globalement d’une grande pureté et il nous faudra le
couper afin de le rendre consommable. Il s’agit là d’un gisement de premier
choix, que je suis enchanté d’avoir découvert.
J’entends bien évidemment poursuivre mon activité. L’air appartient à tous !
Ceux qui m’accusent de vol feraient mieux de s’interroger sur la manière de
préserver sa qualité et son renouvellement.
L’air que vous respirez est localement chargé d’innombrables substances
chimiques : près de 100 000 ont par exemple été repérées au dessus de l’Europe.
(1) Un tel gaspillage est inadmissible et j’entends y mettre fin !
Toute activité polluante représente en effet pour nous un manque à gagner et,
pour vous, un pas supplémentaire vers l’asphyxie. A compter de ce jour, l’air
devient une commodité marchande que j’entends protéger !
Certains d’entre vous éprouvent des difficultés à respirer et nous accusent…
Vous ne manquez vraiment pas d’air ! Bien avant que nous arrivions, des
centaines de milliers de personnes mouraient déjà tous les ans à cause de la
pollution… (2)
Le choix vous appartient : préserver votre air ou apprendre à ne plus respirer.
A partir de cet instant, vous êtes responsables de chacune de vos inspirations !
»
Notes techniques:
(1) Sur les 100 000 substances de synthèse commercialisées en Europe, 3%
seulement auraient été soumises à des tests toxicologiques complets… 1 000
produits chimiques nouveaux sortent en outre tous les ans… Voir le site de
Greenpeace.
(2) Tous les ans, 3 millions de personnes dans le monde meurent pour avoir
respiré un air pollué. L’exposition prolongée aux seules particules fines serait
responsable en France de quelque 32 000 décès annuels chez les plus de 30 ans et
occasionnerait 500 000 nouveaux cas de bronchites chroniques chaque année (dont
450 000 chez les enfants). Il y aurait en outre 820 000 crises d’asthme dont 577
000 chez les enfants…
Bref, j'ai décidé, compte tenu de l'urgence à éveiller le maximum de personnes à
la lib'airté, d'offrir ce livre gratuitement sous la forme d'un petit fichier
pdf.
Si vous souhaitez connaître la suite des aventures de la gentille Hélène et du
méchant Teessmy (vous verrez que c'est moins manichéen que cela en a l'air!),
adressez moi simplement un email à delair[at]lemendiant.fr en précisant « Conte
». C'est gratuit mais puis-je compter sur vous pour la diffusion du conte ? Voir
l'opération Lib'airté!
Qu'est-ce que j'y gagne ? J'y gagne la satisfaction de contribuer à la prise de
conscience. Je crois sincèrement que ma petite histoire peut faire évoluer
certaines mentalités et je préfèrerais laisser à mes enfants une société plus
humaniste... Comme le dit un proverbe indien « La terre n'est pas un don de nos
parents, ce sont nos enfants qui nous la prêtent ». Et puis qui sait ? Peut-être
que la lecture de ce conte vous donnera l'envie de découvrir mes autres
histoires...