L'interview fictive de l'auteur du conte Le Mendiant et le Milliardaire
Toutes les questions que vous avez toujours voulu poser au Mendiant et
celles auxquelles vous n'auriez jamais pensé. Une interview fictives de l'auteur
du Mendiant et du Milliardaire...
Benoît Saint Girons
L e M e n d i a n t
e t l e M i l l i a r d a i r e
C'est l'histoire d'une interview fictive...
On n'est jamais mieux servi que par soi même... ou par un majordome... Dans
la foulée des dialogues du conte - et en attendant que de vrais journalistes
s'intéressent au sujet - j'ai donc imaginé quelques questions pour m'aider à
mieux vous présenter le Mendiant. Comme vous le verrez, le pseudo
journaliste-interviewer me vouvoie et n'est pas du tout agressif ce qui tend
à prouver 1. qu'il est plus poli que le mendiant 2. que je ne suis pas
masochiste. Dans l'attente de questions "extérieures", je vous laisse donc
en compagnie des miennes...
D'où provient l’idée du Mendiant?
Parlez-vous du conte ou du personnage ? L’idée du conte est venue
naturellement, suite à la rédaction de mon ouvrage pratique « L’autre choix
». Je me suis dit qu’un petit conte permettrait de véhiculer des idées de
manière plus ludique. Le personnage du Mendiant s’est rapidement imposé
comme l’anti héros idéal, l’antithèse du "superman", idéalement placé pour
critiquer le système : exclu de la société et déjà par terre, il peut en
parler de manière plus objective, sans risque de se planter !
Ce n’est quand même pas un mendiant ordinaire…
Ce mendiant n’a en effet rien à voir avec les malheureux SDF que nous
croisons parfois. Il s’inscrit dans la tradition de la mendicité "positive"
ou volontaire que l’on retrouve en Asie ou dans certains pays musulmans : la
mendicité en tant qu’apprentissage de l’humilité et de l’ascétisme, en tant
que remise en cause de l’ego. La posture du Mendiant n’est ainsi pas sans
évoquer celle du Bouddha… ou du sage de Lao Zi...
Il s’agit donc d’une quête spirituelle ?
Il est possible d’y trouver une certaine spiritualité mais le conte est
avant tout terre à terre : il traite de l’homme et non de l’esprit, de la
vie quotidienne et non de l’au-delà, de la responsabilité et non des
superstitions…
Jakarta, Indonésie, 1993
Il y a quand même une organisation bien mystérieuse et un Petit Livre bleu
assez déroutant…
Oui, c’est vrai : Samuel a l’air de suivre une sorte d’initiation secrète.
On verra ce qu’il en est à la fin… On pourrait aussi dire que le Mendiant
est un conte initiatique dans le sens où il « met au courant » ou qu’il «
fait la lumière » sur un certain nombre de scandales. Ce qui est sûr, c'est
que le lecteur ne sera plus tout à fait le même après avoir rencontré le
mendiant… Mais n’est-ce pas toujours le cas lorsque nous rencontrons
quelqu’un ? Comme le dit le majordome : « Nous sommes tous entourés d’êtres
extraordinaires mais nous sommes généralement trop accaparés par notre ego
pour en prendre conscience. »
Comment résumer le Mendiant ?
C’est difficile sans en révéler l’intrigue… Nous suivons en quelque sorte
les itinéraires et les interrogations de deux personnages : le jeune Samuel
et le riche Jean Jacques. Le premier est en quête d’un travail et rencontre
une mystérieuse bibliothécaire. Le second vient de perdre sa femme et essaye
de recoller les morceaux d’une vie jusqu’à présent menée dans l’insouciance
et la passivité.
Un pauvre et un riche… Une vision un peu manichéenne, non ?
Seulement si on y applique les clichés d’usage : le gentil pauvre et le
méchant riche… Le Mendiant est un peu plus subtil que cela… Peut-être ne
faudra-t-il d’ailleurs pas trop se fier aux apparences... Comme le dit le
mendiant à un moment, n’existe-t-il pas autant de perspectives que de points
de vue ?
Parlez-nous un peu de ce mendiant justement. Qui est-il ?
Je répondrai par un autre passage : Il est ce que vous souhaitez qu’il soit
: confident, mendiant, ami, thérapeute, professeur, libre, sage, fou,… Il y
a tellement de qualificatifs possibles… Il est un vecteur de générosité et
une aide pour tous ceux qui lui accordent un instant.
Banaue, Philippines, 1995
Il est aussi philosophe…
Dans le sens que donnait Epicure de la philosophie, oui : « La philosophie
est une activité qui procure, par les raisonnements et les discussions, la
vie heureuse. » Le mendiant, via la discussion, invite ses interlocuteurs à
raisonner, à retrouver leur liberté de penser et d’agir.
L’action est en effet au cœur du livre.
Il faut vivre pour être heureux et non pas être heureux pour vivre, dit le
mendiant. Samuel a tendance a multiplier les livres, les théories et les
techniques au point d’oublier de les mettre en pratique. Jean-Jacques a pris
l’habitude de la passivité, au point d’en oublier la vie. Les deux vont
subir un électrochoc qui va les réveiller…
Il y a beaucoup de surprises dans le conte.
Les premières versions étaient nettement moins scénarisées. Ce sont mes
relecteurs qui m’ont incité à retravailler l’histoire et je tiens pour cela
à les remercier.
Ce n’est toutefois pas un roman…
Je ne suis pas romancier. Je n’écris pas à priori pour raconter une
histoire, présenter des lieux ou faire des études psychologiques de
personnages imaginaires et je n’ai pas beaucoup d’affinités pour les
descriptions… J’écris pour faire passer des messages. Au-delà des nombreux
rebondissements, le Mendiant reste un conte militant, un conte à rebours du
système.
Île de Camiguin, Philippines, 1995
C’est à dire ?
C’est à dire qu’il dénonce les manipulations et l’exploitation des hommes et
appelle à un nouveau paradigme de la société : la coopération entre
individus plutôt que la loi de la jungle, le contentement personnel plutôt
que le développement du personnel, la richesse humaine plutôt que les
ressources humaines, la force plutôt que la violence… Il donne également des
pistes pour dépasser les conditionnements et gagner en liberté et en
bien-être.
Il y a néanmoins un paradoxe entre la liberté prônée et la manipulation des
protagonistes par l’Organisation de la bibliothécaire… N’est-ce pas
contradictoire ?
La faim justifie-t-elle les moyens ? A cette question, les philosophes
répondent généralement « non » mais le système – qui a remplacé sans
vergogne faim par profit – est beaucoup plus nuancé, comme nous le
constatons au quotidien. Si l’Organisation est aussi manipulatrice que le
système, son objectif n’est pas d’abrutir et d’endormir mais au contraire de
réveiller voire d’éveiller les consciences. Pour réveiller quelqu’un, on
peut lui susurrer « Réveille-toi » à l’oreille ou le secouer un peu.
L’Organisation a clairement fait le choix de la seconde option : le réveil
en fanfare !
Elle pouvait aussi les laisser se réveiller tout seul…
Non parce qu’il y a urgence et qu’à trop dormir, on finit par ne plus rien
vivre ni contrôler ! Si quelqu’un s’endort près d’un précipice, ne
faudra-t-il pas aussi le réveiller pour lui éviter de tomber dedans ? Le
personnage de Jean-Jacques est complètement déboussolé et à la limite de la
bêtise. L’Organisation le réveille et lui remet une boussole mais elle le
laisse libre de se mettre ou non en marche. Il n’y a aucune obligation… et
elle finit par tout révéler !
Ce qui ne résout en rien la question de l’éthique…
En effet. Les méthodes de l’Organisation demeurent très discutables et leur
plan assez machiavélique. C’est l’une des limites de leur combat mais c’est
aussi ce qui donne son intérêt à l’histoire… et ce qui ouvre le débat :
jusqu’où peut-on aller pour remettre en cause le système sans tomber dans un
autre système ? L’expérience du communisme est là pour nous inciter à la
prudence…
Hoa Lu, Vietnam, 1997
Avez-vous résolu cette problématique ?
Je crois que la remise en cause du système passe par l’information : si
j’apprends à quel point je suis manipulé, je ne vais pas forcément me
révolter mais je vais peut-être changer mes habitudes. Personne n’aime se
considérer comme un mouton, une vache à lait ou un cobaye ! Dire « vous
devriez arrêter de fumer » ou « fumer, c’est pas bien ! » est aussi
infantilisant qu’improductif. Mettons plutôt en avant les moyens dont se
servent les industriels du tabac pour manipuler les fumeurs et donnons à
chacun les moyens d’alimenter sa propre réflexion. C’est l’objet des
dossiers et de la revue de presse du Mendiant.
Le Mendiant est très critique vis à vis de notre système de santé...
Il est critique vis à vis du système en général ! Mais comme la santé est
l’élément primordial d’un bien-être véritable, il est normal que nous
ouvrions le débat. J’ajoute qu’avec mon travail dans notre centre à Genève ,
je suis constamment confronté à des personnes en souffrance. Le stress fait
des ravages ! Or que constatons-nous : 1. Que les solutions allopathiques
traitent des symptômes mais non des causes. 2. Que la chimie affaiblit le
système immunitaire et entraîne souvent une dépendance. 3. Que certaines
solutions naturelles donnent d’excellents résultats sans ces effets
secondaires. 4. Que malgré ces résultats, ces solutions continuent à être
snobées par un corps médical sous l’influence de l’industrie pharmaceutique.
C’est cet obscurantisme de la médecine que je dénonce. Les médecins ne
demandent pas mieux que d’être fidèles au serment d’Hippocrate mais le
système essaye constamment d’endormir leur vigilance à coup de somnifères…
Que disait Hippocrate ?
Il demandait aux médecins de conseiller à leurs patients « le régime de vie
capable de les soulager » et d’écarter d’eux « tout ce qui peut leur être
contraire ou nuisible » Il parlait de « régime de vie » et non de
médicaments c’est à dire qu’il mettait l’accent sur la prévention. Une
personne en bonne santé n’a-t-elle pas moins de "chance" de tomber malade ?
Il disait « Le corps fait une maladie pour se guérir » et aussi : « Que ta
nourriture soit ton médicament et ton médicament ta nourriture » Si nous
commencions par bien manger, nous nous porterions déjà bien mieux... mais
cela, tout le monde le sait ! Ce que tout le monde ne sait pas, c’est à quel
point les aliments modernes sont dénaturés et néfastes pour notre organisme…
Vous écrivez « Tant que le fric primera sur le bien-être, la maladie sera
notre lot commun… »
L’énergie du système, c’est l’argent. Or, il est évident qu’un malade obèse
et complexé sera plus "rentable" qu’une personne en bonne santé physique et
psychologique. Le système n’a aucun intérêt à notre bien-être puisque c’est
lorsque nous sommes heureux que nous consommons le moins! A quoi me
serviraient des gadgets si j’ai déjà l’essentiel ? Le mal-être, les
complexes, les peurs et les frustrations sont de bien meilleurs vecteurs de
consommation. Comme le dit la bibliothécaire : « La nature a peut-être
horreur du vide mais le système en a fait son fond de commerce. »
Moon Hill, Yangshuo, China, 1997
Vous remettez ainsi en cause une consommation que vous jugez excessive…
Excessive d’abord dans le sens où nous la contrôlons mal : nous sommes
littéralement poussés à consommer et, cela, de plus en plus jeune, au point
que des enfants sont moqués parce qu’ils ne portent pas de marques ou n’ont
pas le dernier téléphone portable… Excessive aussi parce que les produits
consommés sont parfois de mauvaise qualité ce qui entraîne soit du
gaspillage (lorsque l’appareil "made in China" casse en quelques mois), soit
des problèmes de santé dans le cas de l’alimentation (produits raffinés
plutôt que produits complets par exemple). Excessive enfin dans le sens de
ce que l’on en attend : entre les promesses des publicitaires et le
bien-être véritablement obtenu, il y a souvent de la marge ! C’est pourquoi
je cite les philosophes grecs, au premier rang duquel Epicure qui, s’il met
bien en avant la notion de plaisir, invite à la trouver d’abord en soi.
Vaste programme !
Oui mais n’est-ce pas le plus important ? Ne pas cesser, bien sur, de
consommer (qui le pourrait ?) mais devenir un consommACTEUR libre et
responsable. Dans le même temps, être globalement content de soi, satisfait
de ses journées, optimiste pour son avenir, reconnaissant pour son passé,…
... et heureux!
Le mendiant parle moins de bonheur que de bien-être. En fait, le message du
mendiant est multiple: si d’un côté, il invite à se prendre en charge et à
mieux se connaître, il reconnaît aussi la nécessité d’accepter nos défauts
et nos erreurs. Il dénonce ainsi, comme Pascal Bruckner, la tyrannie du
bonheur et de la perfection qui nous rend inhumain de vouloir être plus
qu’humain. La philosophie du mendiant est avant tout humaniste : elle
replace l’homme au cœur du jeu !
Vous parlez un moment du jeu de la société. Quelles en sont les règles ?
La règle principale serait de prendre du plaisir à jouer, tout en respectant
le plaisir des autres. Tricher, être mauvais joueur ou essayer de gagner à
tout prix sont de mauvaises stratégies car personne ne peut gagner à tous
les coups. Nous avons tendance de nos jours à jouer bien trop sérieusement.
Il est urgent que nous retrouvions notre âme d’enfant et notre capacité
d’émerveillement. Le monde est beau mais notre regard est trop souvent
embué…
Peak Victoria, Hong Kong, 1992
Ce n’est donc pas un hasard si le mendiant rencontre Jean-Jacques devant
l’exposition de la Terre vue du ciel…
Hasard, logique, chance ou malchance, qui sait ? Je me rappelle le succès de
cet exposition à Paris : c’était la première fois que l’on voyait de tels
clichés au cœur de la ville. Le contraste avec la vision tristounette du
monde par les médias était saisissant. Car que voyons-nous dans les journaux
télévisés d’habitude: tout ce qui sort de l’ordinaire ! Le crash d’avion
plutôt que les milliers de vols qui atterrissent quotidiennement sans
encombre, le meurtre plutôt que les milliards de poignées de main ou de
sourires… Sur une page blanche, c’est évidemment le point noir qui saute aux
yeux ! Et voilà que, grâce à l’exposition de Yann Arthus-Bertrand, on
découvre, qu’avec la bonne perspective, avec la bonne hauteur, le point noir
peut disparaître ! Jean Jacques regrette que l’hélicoptère ne soit pas à la
portée de toutes les bourses mais, en réalité, il l’est : il s’agit de notre
esprit ! C’est cela que Jean-Jacques va découvrir progressivement…
Au-delà du conte, votre site internet propose un programme politique. Le
mendiant briguerait-il la Présidentielle ?
Cela, pour sûr, serait synonyme de changement ! Vous imaginez un
épicurien-taoïste en charge de l’économie ou un expert en générosité pour
s’occuper de la solidarité ! Plus sérieusement, le Mendiant sort en mars
2007 en pleine campagne présidentielle et il se trouve qu’il a quelques
idées originales pour changer de système. J'espère qu’il pourra inspirer
quelques candidats…
Vous croyez réellement que c’est possible ?
Comme les citoyens en ont ras-le-bol, tout devient possible ! Je ne parle
pas de l’establishment qui votera pour le candidat le plus à même de prôner
le statut quo et l'épanouissement du "business" mais des personnes "réelles"
comme vous et moi, hors bulle, confrontées tous les jours à l’inhumanité du
système. Cela en fait des électeurs ! Or la nature d’un candidat est de
rechercher des électeurs…
Le mendiant aurait-il une préférence ?
Sa préférence va vers tous ceux qui s’inscrivent dans une logique de la
praxis plutôt que de la théorie partisane, ce qui exclut déjà tous les
idéologues. Evidemment, il se méfie aussi des extrêmes... Les bonnes idées
ne sont pas à droite ou à gauche mais au cœur des enjeux ! Certains
appellent à une 6ème République. C'est un bon début mais c’est surtout une
2ème Société qui intéresse le mendiant : une société bâtie non pas sur les
ressources mais sur les richesses humaines !
Shaolin Friends, Chine, 1998
Vous avez aussi un projet humanitaire…
L'opération « Le Livre du Cœur », oui, mais il est trop tôt pour en parler.
Il faudra d’abord voir si les conditions s’y prêtent, si les propos du
mendiant méritent d’être mis en pratique…
Bon courage alors au Mendiant !
Merci. Il en aura besoin pour se lever et se faire entendre…
Eau, Tao, Mendiant, Contes à rebours, Contentement
personnel, Mieux-être...