Le Mendiant et le Milliardaire: le conte à rebours du
système!
Qui est donc ce mendiant, qui semble manipuler les destins de nos
protagonistes : Samuel et le riche Jean-Jacques ? D’où provient sa
sagesse ? Et pourquoi le système le craint-il tellement ?
Benoît Saint Girons
L e M e n d i a n t
e t l e M i l l i a r d a i r e
Le conte à rebours du système...
– Tenez mon brave…
– Ce n’est pas assez !
– Je vous demande pardon ?
– Ta pièce, ce n’est pas assez !
– Comment ça pas assez ? Vous devriez être content de ce qu’on vous donne !
– Mais je suis content. C’est toi qui ne le seras pas.
– Mais qu’est-ce que vous racontez ?
– Tout à l’heure, je t’ai vu hésiter entre des centimes et des euros. Tu me
donnes finalement les centimes. Ce n’est pas assez : plus tard, tu vas
regretter de ne pas avoir été assez généreux. Lorsque l’on hésite, il faut
toujours donner le montant le plus important. Il ne faut jamais être radin
avec la générosité.
– Je donne ce que je peux donner. Et qu’est-ce que vous avez d'abord à me
tutoyer ? Nous n’avons pas élevé les cochons ensemble que je sache!
– Je te tutoie parce que tu es debout et que je suis par terre, parce que tu
es dans la société et que j’en suis exclu : je crée un lien entre deux
postures antinomiques. Tu considères mon tutoiement comme un manque de
respect alors que j’essaye simplement de me mettre à ton niveau. En
acceptant cela, en ne te considérant pas comme supérieur, en n’attendant pas
de ma part de signes de déférence, tu fais aussi preuve de générosité à mon
égard. Je t’en donne encore plus pour ton maigre argent…
Qui est donc ce mendiant, qui semble manipuler les destins de nos deux
protagonistes : le jeune Samuel et le riche Jean-Jacques ? D’où provient sa
sagesse ? Et pourquoi le système le redoute-t-il tellement ?
Ce petit conte résolument original se lit d’une traite et réserve bien des
surprises au lecteur, entraîné dans l’univers des philosophes et des idées.
Attention : vous ne serez plus tout à fait le même après avoir rencontré le
Mendiant…
Sortie du livre le 19 mars 2007
– Tu sembles perplexe, dit le mendiant.
– Je me demandais comment vous pouviez connaître autant de choses ?
– Autrement dit plus que toi… Et cela te gêne parce que je suis par terre.
Mais considère ceci : quelle que soit ma situation présente, j’ai déjà,
compte tenu de mon âge, vécu au moins deux fois ton existence. Ne serait-ce
pas curieux si je n’avais rien appris du temps ? Et puis autre chose : en
tant que mendiant, n’est-il pas normal que je sois expert en générosité ?
– Vous n’avez pas toujours été mendiant, n’est-ce pas ?
– Naît-on mendiant ? Ou médecin ? Ou avocat ? Des gènes prédisposent-ils à
être chef d’entreprise ou ouvrier ? Évidemment que je n’ai pas toujours été
mendiant. Mais, de toutes mes expériences, je dois dire que c’est l’activité
qui me donne le plus de satisfaction, le plus de bien-être aussi…
– Vous vous y connaissez donc en bien-être ?
– Si la connaissance vient de la pratique alors, oui, je m’y connais un peu.
Mais c’est la théorie qui semble surtout être valorisée de nos jours. Les
gens lisent des livres mais oublient de mettre en pratique ce qu’ils ont lu…
N’est-il pas vrai ?
Au sourire espiègle du mendiant, Samuel comprit qu’il était visé par cette
remarque. Il avait dû remarquer ses allées et venues avec les livres de la
bibliothèque. Il tenta de se défendre :
– Il est possible de conjuguer les deux, non ? La théorie et la pratique ?
– Bien sûr, puisque cela n’a rien à voir ! On peut aimer la mer sans s’y
être jamais baigné. On peut savoir quoi faire et choisir de ne rien faire.
– Ou ne rien pouvoir faire…
– L’homme peut toujours faire quelque chose, s’il choisit bien son niveau et
ne se juge pas au regard des autres mais à la lumière et à l’échelle de ses
propres valeurs. Le bien-être et le bien-vivre sont affaires de
responsabilité et d’engagement personnels !
– D’accord, mais comment les définir ?
– Chacun les éprouve à sa manière, mais je crois qu’ils reposent
essentiellement sur un esprit serein, sur l’ataraxie. Il ne s’agit pas à cet
égard de faire le vide dans son esprit ou de se couper du monde, mais plutôt
d’apprendre à mieux accepter les contrariétés naturelles de l’existence. La
vie est dure à partir du moment où nous la considérons comme telle. Pour ma
part, je préfère la considérer comme souple, comme une espèce de trampoline
: ça monte et ça descend, mais c’est parce que je descends que je remonte.
La sérénité est ainsi un sentiment très dynamique, basée sur un état de
contentement pour ce que l’on est, ce que l’on a et ce que l’on fait.
[...]
– C’est une jolie histoire, reconnut Samuel.
– Et quel en est le message, selon toi ?
– Eh bien, que nos défauts s’avèrent parfois des qualités !
– Oui, mais aussi que nous sommes tous des cruches, ajouta le mendiant en
riant, des cruches qui se focalisent sur leurs défauts et ne cessent de se
comparer aux autres. Comment veux-tu dans ces conditions être serein ?
Pourquoi ne pas plutôt nous pencher sur nos fleurs ? Pourquoi ne pas prendre
la vie avec philosophie ?
« Décidément, c’est ma semaine, s’amusa Samuel. Mais qu’ont-ils donc tous
avec leur philo ? Il y a une promotion ou quoi ? »
Le mendiant enchaîna :
– « La philosophie est une activité qui procure, par les raisonnements et
les discussions, la vie heureuse », disait Épicure. Connais-tu sa doctrine ?
– Privilégier ses sens et ses plaisirs ?
– C’est un peu plus subtil que cela. L’épicurisme, vois-tu, est une doctrine
essentiellement morale. Elle repose sur l’idée que le bien est aisé à
obtenir, tandis que le mal est facile à supporter.
– Première nouvelle !
– Cela surprend, n’est-ce pas ? Pour Épicure, le bien-être est facilement
accessible dans la mesure où il ne dépend pas d’autre chose que de
nous-mêmes : il naît de la connaissance de nos vrais besoins et de
l’apprentissage de la pondération. En gros, tout le contraire de ce que
promeut la société de consommation.
– Savoir se satisfaire d’un verre d’eau ?
– Par exemple. Mais Épicure ne dit pas pour autant qu’il faut rejeter le
bon vin si celui-ci se présente. Il s’agit simplement de ne pas laisser ce
bon vin guider ou dicter notre vie.
– Et comment les maux sont-ils faciles à supporter ?
– Essentiellement par l’action de la pensée. Une douleur physique peut être
contrecarrée par un plaisir issu de l’âme, par une pensée positive, par la
remémoration d’un bon moment…
– Ou par la distraction ?
– En effet, pendant que je discute, je ne vois pas le temps passer et j’en
oublie mes douleurs aux jambes.
– Vous avez mal aux jambes ?
– C’est le problème de mon métier : je reste trop longtemps assis par terre.
Il y a deux manières d’avoir mal aux jambes : trop marcher ou ne pas faire
assez d’exercice. La santé se situe dans la modération et la prudence.
– L’ennui aussi…
– Non, pas si l’on se remémore les principes d’Épicure. Il est nécessaire de
penser pour s’ennuyer, alors autant penser à autre chose ou bien penser à
agir. Il n’y a jamais d’ennui dans l’action !
– C’est une théorie intéressante.
– C’est surtout une pratique ! La connaissance théorique ne suffit pas, il
convient de mettre en pratique ! Tout le monde sait que la générosité est
une vertu, mais seuls ceux qui donnent sont généreux. Les livres ouvrent des
portes mais il convient ensuite de les franchir.
– Vous vous méfiez donc des techniques ?
– Disons plutôt que je les remets à leur juste place. Les techniques sont
comme du terreau : elles permettent de limiter les imprévus et offrent un
terrain propice à une dynamique positive. Le jardinier, c’est l’homme : il
préfère le terreau à la terre brute car il souhaite de plus belles fleurs.
Mais cela ne suffit pas. Il manque encore les conditions extérieures : du
soleil et de l’eau en bonne quantité. Lorsque les circonstances sont
favorables, la fleur pousse et le jardinier épicurien est heureux. Dans le
cas contraire, le jardinier aura beau se répéter : « C’est une bonne terre,
c’est une bonne terre ! », cela ne changera rien. Et si une fois les fleurs
écloses, il se dit : « Comme je suis heureux, comme je suis heureux ! »,
qu’il prenne garde : la beauté est éphémère et les fleurs se faneront
bientôt. Il ferait mieux de jouir de son jardin hic et nunc sans trop se
poser de questions et laisser à la nature la place qui lui revient.
– Le bonheur serait donc dans le lâcher-prise ?
– Le bonheur n’est nulle part. Il est ainsi partout ! C’est une énergie qui
circule au gré des circonstances. S’il est préférable d’être toujours prêt à
l’accueillir, il serait vain de vouloir le contrôler. Si au moment
d’embrasser une fille tu t’interroges : « Voyons un peu comment je suis
heureux… », tu limiteras nécessairement ton expérience immédiate du bonheur.
Ta réflexion te détournera du bonheur de l’action !
– Il convient donc de prendre les choses comme elles viennent ?
– Oui, mais à condition de mettre le maximum de chances de son côté en
prenant le parti de l’action. Un homme qui se contente de lire des livres de
jardinage sera-il jamais un jardinier ? Il sera certes moins affecté par les
intempéries, mais il ne verra jamais aucune fleur s’épanouir. Se couper du
monde afin de ne pas en subir les revers n’est pas une bonne stratégie : le
bonheur requiert une prise de risque.
– Ah, ah, le bonheur a besoin de quelque chose maintenant ?
– Oui, mais d’une seule chose : il a besoin de la vie ! Il faut vivre pour
être heureux !
– Et non pas être heureux pour vivre…
– C’est bien. Je vois que tu as compris. Ne passe donc pas trop de temps
dans les livres ni dans la théorie, sois un bon vivant et tu seras un
bienheureux !
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