Le Mendiant philosophe: Alain et la volonté
de l'action!
Le Mendiant est adepte de la responsabilité pour accéder au
bien-être et il place l’action au cœur du cheminement. Il était logique de rencontrer le philosophe Alain sur le chemin…
Benoît Saint Girons
L e M e n d i a n t
e t l e M i l l i a r d a i r e
C'est l'histoire de quelques idées...
Le Mendiant a l’air bien passif a attendre ainsi les généreux sous son porche
mais, comme nous le verrons avec Lao Zi, ce non-agir est en réalité une force et
un signe de sagesse... Quoi qu’il en soit, ça bouge autour du mendiant : il y a
d’abord Samuel, qui découvre avec la bibliothécaire que la mise en pratique des
théories est primordiale et puis Jean-Jacques, véritable victime de la
passivité, qui s’éveille progressivement de sa torpeur… Le Mendiant insiste sur
la prise en charge nécessaire pour accéder au bien-être et c’est l’action –
toujours l’action – qui fait avancer les protagonistes de surprise en surprise…
Après Epicure, il était donc logique qu’ils rencontrent Alain en chemin…
Alain et la volonté de l'action:
Le mot d'Alain - Emile Chartier de son vrai nom - est connu: « L’optimisme est
de volonté. Il faut jurer d’être heureux ! » Si nous verrons plus loin avec
Bruckner qu’un tel volontarisme peut déraper, la philosophie d’Alain n’en
demeure pas moins une réflexion salutaire et dynamique sur l’art de l’existence.
Quoi qu’il en soit, "Propos sur le bonheur" est aussi l’un des ouvrages de
philosophie les plus concrets et les plus accessibles qui soit. C'est en tout
cas par ce livre que le jeune Samuel accède à la philosophie, un peu poussé, il
est vrai, par la bibliothécaire...
– [La Bibliothécaire]: D’accord, mais pourquoi courir tous dans le même sens ?
Pourquoi fréquenter toujours les mêmes rayons ? Avez-vous déjà envisagé la
philosophie ? Il y existe quantité d’ouvrages susceptibles de répondre à vos
questions. Propos sur le bonheur d’Alain, par exemple.
– Est-il disponible ?
– Oui, vous avez de la chance. Le rayon « Philosophie » se trouve juste
derrière. Allez-y !
Elle avait dit cela sur un tel ton – un subtil mélange de douceur et d’autorité
– que Samuel se mit machinalement en marche. Ce n’est que deux rangées
d’étagères plus loin, lorsque les vibrations de la voix cessèrent de résonner
dans son esprit, qu’il se rappela à quel point il abhorrait la philosophie.
Allez, un rapide coup d’œil et je m’en vais… Je ne suis pas venu ici pour
ridiculiser mes neurones.
Il constata avec surprise qu’il n’était apparemment pas le seul à penser ainsi :
le rayon n’occupait même pas l’équivalent d’une étagère et à peine quelques
livres étaient sortis. Je comprends pourquoi la bibliothécaire en est réduite à
jouer les rabatteuses ! Il est vrai que la philosophie cumulait les tares : ses
idées n’étaient pas prédigérées, ses couvertures sobres, son influence
médiatique limitée, ses partisans discrets et ses principes considérés comme
désuets. Enfin, le pire : elle nécessitait de réfléchir. Non, vraiment, la
philosophie n’était pas raisonnable !
Samuel prit le livre d’Alain et le feuilleta jusqu’au premier chapitre. Le titre
le stoppa net : « Bucéphale ». C’est bien ce que je craignais. Qu’est-ce que
c’est que cette bestiole ? De toute évidence, les philosophes étaient comme les
intellectuels de Pierre Perret : rassurés lorsqu’ils n’étaient pas compris. Il
n’était pas d’humeur à « bucéphaler » : il referma le livre et se dirigea
discrètement vers la sortie.
– Vous n’avez pas trouvé le livre ?
Samuel fait preuve de mauvaise volonté mais il faut l’excuser : il est encore
jeune. Alain, déjà au début du siècle, reconnaissait les méfaits de l’impatience
: « La jeunesse se trompe là-dessus parce qu’elle ne sait bien que désirer et
attendre la manne. Or il ne tombe point de manne ; et toutes les choses désirées
sont comme la montagne qui attend, que l’on ne peut manquer. Mais aussi il faut
grimper. Tous les ambitieux que j’ai vus partir d’un pied sûr, je les ai vus
aussi arriver, et même plus vite que je n’aurais cru. » (p.72)
La volonté d’Alain n’est donc pas la volonté galvaudée de la société de
consommation du style « Qui le veut le prend ! », une volonté tyrannique, liée
au désir, qu’il conviendrait de satisfaire par tous les moyens ou encore une
absence de contrainte véhiculée par l’expression « à volonté ! »
La volonté chez Alain est mesurée à la hauteur des efforts fournis. C’est une
volonté bâtie sur l’énergie et la fermeté, qui repose sur soi, rien que sur soi.
Il rejoint en cela Epicure… à la nuance près que le remède, chez Alain, se situe
moins dans les pensées que dans l’action... Selon lui, avec Jean-Jacques
Rousseau, « L’homme qui médite est un animal dépravé » (p.94) et cela, à l’orée
de nos connaissances modernes sur les bienfaits de la méditation bouddhiste par
exemple, c’est évidemment pousser l’action un peu trop loin…
Zut, elle l’avait repéré ! N’avait-elle donc rien d’autre à faire que de le
surveiller ? Il en était quitte pour une petite séance d’humiliation. Il se
sentait incapable de mentir à cette femme. Elle l’aurait aussitôt démasqué. Il
ravala sa fierté et répondit :
– Si, mais il m’a semblé vraiment trop compliqué. Déjà, le titre du premier
chapitre…
– Bucéphale ? Mais c’est le nom du cheval d’Alexandre ! C’est une histoire
amusante : personne n’arrivait à chevaucher ce terrible animal. Alexandre se
rendit compte qu’il avait peur de sa propre ombre et, en maintenant sa tête vers
le soleil, arriva à le dompter. Comme quoi, si nous nous arrêtons à notre
première impression, nous ne pourrons jamais aller bien loin…
– Règle qui s’applique sans doute à mon préjugé vis-à-vis de la philosophie…
– Que voulez-vous, tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir Alain comme
professeur !
– Comme vous ?
– Ai-je l’air si vieille que ça ? Non, j’ai simplement rencontré il y a quelques
années un homme qui m’a fait aimer la philosophie et les idées. Un livre comme
celui d’Alain est précieux car il est vivant. Si vous voulez, nous pouvons en
discuter.
– Vous avez le temps ?
– Mais bien sûr que j’ai le temps ! Comment sinon ne pas le perdre ?
Comprenez-le bien, jeune homme, la vie ne donne du temps que si nous lui en
donnons au préalable. Comment dénicher le livre qui transformera votre vie si
vous ne prenez pas le temps de déambuler entre les rayons, puis entre les pages
?
– Il faut croire que je suis trop impatient, dit Samuel avec un soupir.
– « Ne dites jamais que les hommes sont méchants ; ne dites jamais qu’ils ont
tel caractère. Cherchez l’épingle. »
– Épingle ? Quelle épingle ?
– Le pourquoi du trouble : pourquoi le cheval est-il nerveux ? Pourquoi cet
homme se comporte-t-il mal ? Pourquoi sommes-nous donc tous si pressés ? Vous,
par exemple, pourquoi vous intéressez-vous tant au développement personnel ?
Est-ce parce que vous êtes tellement heureux ou pour combler un manque ? [...]
Trop souvent, nous entrons dans la spirale infernale de l’auto dénigrement, des
« opinions d’estomac » ou des sortilèges jetés à soi-même : « Cercle d’enfer ;
mais c’est moi qui suis le diable, et c’est moi qui tiens la fourche » (p129) Le
bonheur (ou plutôt le bien-être) ne dépend pas des conditions extérieures mais
avant tout de soi. L’homme est libre et donc responsable de ses sentiments.
Trop de personnes se prennent pourtant à bouder comme un enfant : « Il crie de
crier ; il s’irrite d’être en colère et se console en jurant de ne pas de
consoler […] Faire peine à ceux qu’on aime et redoubler pour se punir. Les punir
pour se punir […] S’obstiner à être obstiné […] Supposer des méchants afin de se
condamner à être méchant. Essayer sans foi et dire après l’échec : « Je l’aurais
parié ; c’est bien ma chance. » Montrer partout le visage de l’ennui et
s’ennuyer des autres. S’appliquer à déplaire et s’étonner de ne pas plaire.
Chercher le sommeil avec fureur. Douter de toute joie ; faire à tout triste
figure et objection à tout. De l’humeur faire humeur. En cet état, se juger
soi-même. Se dire : « Je suis timide ; je suis maladroit ; je perds la mémoire ;
je vieillis. » Se faire bien laid et se regarder dans la glace. Tels sont les
pièges de l’humeur. » (p55)
Evidemment, les personnes qui éteignent la lumière n’y voient plus très clair,
se cognent et broient du noir. A l’image de cette cruche dont le Mendiant conte
l’histoire :
Il était une fois un petit village africain. La source d’eau était située à
quelques kilomètres seulement et les villageois, reconnaissant cette chance,
vivaient dans la gaieté. Les femmes chargées d’aller puiser l’eau jouissaient
d’un grand prestige : tous les jours, elles distribuaient la vie à la
communauté. Salomé, très habile, se munissait de deux cruches : l’une était en
parfait état mais l’autre, ébréchée, perdait de l’eau. Cette cruche, honteuse de
ses fissures, lui demanda un jour :
– Pourquoi ne choisis-tu pas une cruche plus performante ? Ne vois-tu pas que je
gaspille de l’eau, que je ne remplis pas ma mission ? Quand j’arrive au village,
je suis à moitié vide.
– À moitié pleine plutôt, répondit Salomé, mais viens avec moi.
Salomé prit la cruche sous son bras et l’emporta sur le chemin de la source :
– Quand je rentre, je porte toujours ton amie à droite. Toi, je te porte à
gauche. Maintenant regarde par terre.
La cruche regarda. Sur le côté droit, il n’y avait rien d’autre que de la
poussière. Mais sur la gauche, il y avait des fleurs…
– C’est une jolie histoire, reconnut Samuel.
– Et quel en est le message, selon toi ?
– Eh bien, que nos défauts s’avèrent parfois des qualités !
– Oui, mais aussi que nous sommes tous des cruches, ajouta le mendiant en riant,
des cruches qui se focalisent sur leurs défauts et ne cessent de se comparer aux
autres. Comment veux-tu dans ces conditions être serein ? Pourquoi ne pas plutôt
nous pencher sur nos fleurs ? Pourquoi ne pas prendre la vie avec philosophie ?
Décidément, c’est ma semaine, s’amusa Samuel. Mais qu’ont-ils donc tous avec
leur philo ? Il y a une promotion ou quoi ?
Se lever jusqu’à l’interrupteur et allumer la lumière... Le vrai bien-être ou la
santé requièrent à n’en point douter un certain effort : « L’homme n’aime guère
ce qui n’est pas difficile » (p.101), « On aime guère un bonheur qui vous tombe,
on veut l’avoir fait » (p.103) ou encore « On lit partout que les hommes
cherchent le plaisir ; mais cela n’est pas évident ; il semble plutôt qu’ils
cherchent la peine et aiment la peine. » (p.102) Peine n’est évidemment pas à
interpréter ici dans le sens de souffrance mais dans celui d’effort, de goût du
travail.
Si le Mendiant pense que le bonheur réside davantage dans le « laisser-venir »,
il est d’avis, avec Alain, qu’un bien-être durable requiert l’action, de même
que la santé requiert de raffermir son système immunitaire plutôt que d’absorber
un médicament qui ne pourra corriger, au mieux, que les symptômes. L’effort et
l’ambition plutôt que la facilité et le confort. Comme le déclare le majordome à
Jean-Jacques :
– Votre fortune vous a préservé de l’effort alors que la joie de vivre vient
généralement de la satisfaction d’accomplir quelque chose. Le pauvre manque d’or
mais le riche manque parfois de plomb : une base de plomb pour donner du poids
et de la substance à sa vie.
– À vous entendre, je mènerais une vie superficielle ?
– Il vous manque en effet un peu de profondeur : vous avez une baignoire en
marbre blanc, mais vous êtes incapable de faire couler l’eau de votre bain…
– Mais vous aussi ! L’eau est toujours trop chaude ! J’ai chaque matin
l’impression d’être une écrevisse…
– Je sais. Je le fais exprès.
– Hein ?
Alors ça c’était trop fort ! Et ce bougre l’avouait encore en plus ! Du temps de
ses parents, un tel affront aurait entraîné une mise à pied immédiate. Son père
ne supportait pas l’impertinence de ses domestiques. Non, vraiment, le respect
se perdait. Voilà où menait la gentillesse…
« On veut agir, on ne veut pas subir […] personne n’aime le travail forcé ;
personne n’aime les maux qui tombent ; personne n’aime la nécessité. Mais
aussitôt que je me donne librement de la peine, me voilà content. » (p.102) «
Tous les métiers plaisent autant que l’on y gouverne, et déplaisent autant que
l’on y obéit. » (p.107)
Goût du travail et de l’effort, donc, mais pour autant que cela soit librement
consenti. Seuls les travaux liés à la volonté peuvent être véritablement perçus
comme positifs. Dire « je dois aller travailler », n’a pas la même signification
que de dire « Je vais travailler ». C’est tout le problème de Jean-Jacques et de
sa vie subie :
– Que voulez-vous, j’ai tellement l’habitude de me laisser aller que je ne sais
plus très bien par quel bout saisir l’existence. Je ne sais même pas ce que je
souhaite accomplir ou changer…
– Eh bien alors, réfléchissez-y. Asseyez-vous dans le calme de la nature et
passez vos rêves en revue.
– Mes rêves ? Comme d’être toujours avec Hélène ou d’avoir pu élever cet enfant
?
– Un enfant, Monsieur ?
– C’est un épisode douloureux sur lequel je ne souhaite pas m’étendre, reprit
Jean-Jacques, ennuyé d’en avoir soudain trop dit.
– Comme vous voulez, Monsieur. De toute manière, je faisais référence à vos
rêves et non pas à vos regrets.
– Ah, je vois… Et vous, Antoine, à quoi rêvez-vous donc ?
– Je rêve, Monsieur, de prolonger mon rêve.
[...]
– Mais pourquoi avoir choisi ce métier de majordome ?
– « Ich dien. »
– Pardon ?
– « Ich dien : je sers. » C’était la devise du Prince de Galles. Quelle plus
belle manière d’être utile que de servir ?
– Sans doute, mais vous n’êtes vraiment utile qu’à moi et je ne pense pas être
un modèle de vertu ni un nécessiteux…
– Cela rend ma tâche d’autant plus respectable.
– Que voulez-vous dire ?
– Que tout métier peut, avec le bon état d’esprit et une motivation appropriée,
se transformer en sacerdoce.
– Décidément, je ne vous savais pas si sage !
– Nous sommes tous entourés d’êtres extraordinaires, mais nous sommes
généralement trop accaparés par notre ego pour en prendre conscience. Je ne
parle pas de moi, remarquez, je ne suis qu’un humble majordome… […]
« Je fais le beau temps et l’orage ; en moi d’abord ; autour de moi aussi, dans
le monde des hommes. » (p.159) Le sourire que l’on envoie revient vers soi,
comme le dit une sagesse hindoue. Ce n’est sans doute pas systématique mais,
c’est un beau principe.
« Si j’ai confiance, il est honnête ; si je l’accuse d’avance, il me vole. Ils
me rendent tous ma monnaie, selon la pièce. » (p.159) Certes, « Il n’est point
d’homme dont on ne puit dire et penser beaucoup de mal ; il n’est point d’homme
dont on ne puit dire et penser beaucoup de bien. » (p.165)
Cette notion de responsabilité du regard est intéressante. Elle avait déjà été
bien perçue par le taoïste Lie Zi, au 5ème siècle avant J.C. : « Un homme perdit
sa hache et soupçonna un fils d’un voisin. Il observa les mouvements d’icelui :
c’étaient ceux d’un voleur de haches ; il observa sa physionomie : c’était celle
d’un voleur de haches ; il analysa ses paroles : c’étaient celles d’un voleur de
haches. Ses mouvements, son allure dénotaient un voleur de haches. Puis, en
creusant un fossé, notre homme retrouva sa hache. Il revit plus tard le fils du
voisin en question : ses mouvements, son allure n’étaient plus ceux d’un voleur
de haches. » (Traité du vide parfait, p. 181)
C’est aussi le principe que rappelle la retraitée à Jean-Jacques:
La violence peut sembler légitime dans le sens où le système traite souvent
l’homme comme du bétail, mais ce n’est pas avec la loi du talion que nous
sortirons de l’engrenage. La solution réside dans l’amour, naturellement présent
au cœur de notre humanité. Il n’est pas question d’aimer béatement tout le
monde, mais il devrait être possible de les traiter avec une bienveillance de
principe. « Blâme le péché et non le pécheur », dit le précepte.
– Facile à dire !
– J’en conviens. Mais n’est-ce pas la meilleure voie pour nous sentir mieux ?
Peut-il y avoir cicatrisation sans pardon ? Une vie sera peut-être dure avec des
cicatrices, mais elle s’infectera inévitablement avec des plaies. À nous de
faire en sorte que notre regard soit le plus lumineux possible et retrouvons le
goût de la liberté au grand air : être homme, ce n’est pas être constant ou
parfait, mais libre et conscient de l’être. Eh oui, mon garçon, en dépit des
influences extérieures, nous sommes libres de refuser la haine et la violence !
Pour conclure, c’est donc bien la responsabilité qui est au cœur de la
philosophie d’Alain.
L’homme est libre mais cette liberté entraîne une responsabilité et c’est pour
cela que la liberté fait peur et que des hommes préfèrent se tourner vers les
superstitions… Ce sont les constats de la retraitée ainsi que Jean-Jacques face
au malade : la responsabilité requiert du courage et de l’effort ! La
philosophie d’Alain est loin d’être facile…
La retraitée et Jean-Jacques:
– Eh oui ! La vie regorge de surprises mais que ce soit une rencontre, une
maladie ou une grossesse, tout ce qui nous arrive possède sa part de logique.
Refuser la responsabilité de sa vie sous prétexte qu’on ne l’a pas choisie est
une grossière erreur, vous savez. Commençons donc par la choisir, notre vie, et
travaillons autant que possible à ne pas dépendre de la fortune, que celle-ci
soit bonne ou mauvaise.
Et vlan ! se dit Jean-Jacques, cette retraitée vient de me recadrer en beauté !
Mais de tous les exemples possibles, pourquoi avait-il fallu qu’elle choisisse
celui de la grossesse, qu’elle appuie justement là où cela faisait si mal ?
– Il y a quand même des cas où l’on n’y est pour rien, protesta Jean-Jacques sur
la défensive.
– Mais bien sûr ! Connaissez-vous une meilleure excuse que de croire que nous
sommes victimes, que les astres ou les dieux nous sont défavorables ? Regardez
ce qui se passe en Inde : des millions de personnes sont considérées comme
intouchables, comme des parias, sous prétexte qu’elles auraient fauté dans une
vie antérieure.
– Cela leur permet de ne pas trop s’apitoyer sur leur sort…
– Cela permet surtout aux castes supérieures de continuer à bénéficier de leurs
privilèges en toute impunité. Les superstitions sont encouragées car elles
favorisent la docilité mais, en vérité, nous sommes nés sous le signe du berger,
pas du mouton !
Jean-Jacques et le malade:
– Comment réformer un système sans changer les règles du jeu, sans commencer par
se réformer soi-même ? C’est un peu facile de s’en prendre à tout le monde, sauf
à soi-même ! Qu’avez-vous fait, VOUS, pour améliorer les choses ?
Cette attaque soudaine atteignit le malade en pleine figure. Il en resta bouche
bée. Il avait l’habitude d’être plaint ou ignoré, pas d’être bousculé. Son
visage, qui s’était endurci au fur et à mesure de ses diatribes, s’assombrit
d’une infinie tristesse. La tête baissée, il finit par répondre :
– Regardez-moi. La seule excuse qu’il me reste devant le gâchis de ma chienne de
vie, c’est de me dire que ce n’était pas de ma faute. Et vous voulez m’enlever
ce dernier réconfort ? J’essaie justement de ne pas trop penser à ce que
j’aurais pu faire. Regretter, ça ne me sert plus à rien maintenant… [...]
Eau, Tao, Mendiant, Contes à rebours, Contentement
personnel, Mieux-être...