Les Sens du Tao: pourquoi et comment
un nouveau livre sur le Tao ?
C'est suite à une
retraite de méditation que je décidais de
m'atteler à une traduction du Daode Jing de Lao Zi. Je
l'avais lu à plusieurs reprises durant ma "jeunesse" et
retrouvé le sage taoïste via la figure du Mendiant, adepte de la simplicité
volontaire... Je me donnais dix ans mais il est vite apparu qu'il me
faudrait beaucoup plus de temps. D'où l'idée de me recentrer sur les trois
premiers chapitres, de loin les plus importants d'une œuvre en outre
parsemée de répétitions... Découvrez ici les précautions, l'équipement et la
démarche rigoureuse qui m'a permis de gravir tranquillement le Tao ainsi que
la structure du livre Les Sens du Tao.
Benoît Saint Girons
L e s S e n s d u T a o
Comprendre Lao Zi et vivre mieux
Pourquoi et comment un nouveau livre sur le Tao ?
Pourquoi donc un nouvel ouvrage sur le Daode Jing, texte déjà le plus
traduit au monde ? Eh bien d’abord parce qu’il est là, tout comme l’Everest
était là pour George Mallory.(1) Le Daode Jing n’est certes pas la seule
montagne de sagesse dont il est possible d’entreprendre l’ascension mais
rares sont les textes qui atteignent, en si peu de mots – 5000 caractères
chinois environ – un tel sommet de profondeur.
Ensuite, parce que le texte majeur du taoïste demeure invaincu. En dépit de
milliers de tentatives depuis plus de deux millénaires, la voie vers le
panorama ultime reste à tracer. Lao Zi avait prévenu au chapitre 70 : « Mes
paroles sont faciles à comprendre [...] pourtant personne au monde ne les
comprend »
Il s’adressait alors à ses contemporains chinois. Autre époque, autres
mœurs, autres cultures, autre langue, comment un Occidental peut-il
sérieusement prétendre comprendre le Daode Jing et à fortiori le Tao ? La
lecture du Daode Jing est une aventure sans cesse renouvelée qui génère
généralement plus de questions et de frustration qu’elle ne procure de
réponses.
Même lorsque les versions sont bien basées sur le texte chinois – certaines
versions sont des traductions de traductions, variantes intellectuelles du
téléphone arabe, d’autres de poétiques élucubrations d’auteurs ne comprenant
rien au chinois – la plupart des ouvrages ajoutent encore au « mystère des
mystères », plongeant la montagne taoïste dans un épais brouillard.
« Le Tao Te King de Lao-Tseu, est rédigé dans un style extrêmement
énigmatique et son langage concis, puissant et très poétique cherche à
suspendre l’esprit du lecteur et à lui faire quitter les sentiers battus du
raisonnement logique. » écrit Fritjof Capra dans son Tao de la physique.
Certes mais le Daode Jing de Lao Zi (2) est surtout écrit en chinois !
La nature polysémique des idéogrammes, la simplification extrême de la
grammaire chinoise (un même caractère peut désigner à la fois un nom, un
verbe ou un adjectif, un singulier ou un pluriel, un passé, un présent ou un
futur, etc.), l’absence de ponctuation, l’évolution du sens de certains
caractères ainsi que les différentes versions du texte original permettent
de multiplier les traductions à l’infini. Le Tao, comparable à l’eau, prend
la forme des récipients qui l’accueillent. Une traduction du Daode Jing – le
choix, pour un idéogramme donné, d’un sens plutôt que d’un autre – aura donc
nécessairement la forme du traducteur… et c’est pourquoi il ne s’agira pas
du Tao !
« Un livre d’analogies tel que le Tao Te King est de la poésie : il évolue
en fonction de votre état d’esprit, de votre compréhension, de votre
maturité. Ce livre n’est pas un livre mais un phénomène vivant, un trésor à
chérir. Sa lecture est le travail de toute une vie. » écrit Osho dans son
Absolute Tao.
Certes mais le Daode Jing présente néanmoins des perspectives concrètes pour
une qualité de vie tendant vers la spiritualité.
Cheminer sur la voie du Tao, c’est en effet reprendre contact avec sa nature
et envisager un autre paradigme du rapport aux autres et au monde, dépasser
notamment notre insidieuse obsession de la performance, de la croissance, de
la raison et du progrès. C’est, en accordant un peu de place au vide, en se
plaçant en retrait par rapport à un certain nombre de mythes et de préjugés
que l’on accèdera à un espace de liberté et de sérénité.
On étudie ainsi moins le Tao qu’on ne se découvre soi-même. On le
conceptualise moins qu’on ne le vit. Parti en quête de son essence, on ne
finit pas de trouver des sens au Tao !
Gravir le Tao, ce n’est donc pas tant viser le sommet que d’arriver à
marcher en se concentrant sur la route, sur chacun de ses pas, dans la joie
de l’instant présent. C’est aussi descendre en soi, renverser son regard
vers l’intérieur afin de redécouvrir ce que nous devrions tous être : en
harmonie avec notre nature.
Notes:
(1) Lorsqu’un journaliste lui demanda pourquoi il souhaitait escalader
l'Everest, George Mallory répondit « because it’s there (parce qu’il est
là) », New York Times, 18 mars 1923.
(2) A l’exception du mot Tao entré dans le langage courant, nous présentons
le texte chinois en Pinyin, tel qu’utilisé par la République Populaire de
Chine depuis 1958 : le Tao Te King de Lao-Tseu devient ainsi le Daode Jing
de Lao Zi.
C'est suite à une retraite de méditation, pour fêter mes 40 ans, que je
décidais de m'atteler à une traduction du Daode Jing de Lao Zi. Je l'avais
lu à plusieurs reprises durant ma "jeunesse" - et un peu étudié aux Langues
O - mais, si j'en avais bien perçu quelques fulgurances, j'étais globalement
resté sceptique devant la profondeur du texte et la complexité des
traductions.
J'avais repris contact avec le Tao via le personnage du Mendiant philosophe,
développée dans Le Mendiant et le Milliardaire, qui n’était pas sans
rappeler la figure du sage taoïste. A la croissance et à l’accumulation, Lao
Zi répond par la simplicité et par le vide; au bruit et à la foule, il
propose le silence et la réflexion; à la rigidité et à la force, il oppose
la souplesse et la faiblesse. Surtout, à une vision binaire, prédatrice et
mécaniste du monde, Lao Zi oppose l’Unité fondamentale, la coopération et la
biologie. Tout cela reflétait mes propres préoccupations et réflexions...
L'œuvre ne faisant que quelques 5 000 caractères, je me donnais dix ans pour
mener ce projet à bien. Je n'avais pas alors très bien anticipé la richesse
du travail à fournir...
En effet, non seulement les traducteurs n'étaient pas tous d'accord entre
eux mais je compris qu'il y avait matière à faire parfois mieux et à
proposer une version moderne et compréhensible du Tao. Dès lors, afin de ne
pas être taxé de "grand n'importe quoi", il convenait non seulement
d'analyser chaque caractère chinois de manière rigoureuse mais aussi de se
rapprocher des autres grands textes de la spiritualité... qui disent tous
peu ou prou la même chose!
Même si l’agilité requise peut venir au fil des pas, au fur et à mesure des
caractères, une ascension du Daode Jing ne s’entreprend pas sans quelques
précautions, un bon équipement et une démarche rigoureuse.
Du côté des précautions pour ne pas se perdre dans le brouillard, une
connaissance suffisante des caractères du Chinois, du caractère des chinois
et de la Chine:
Langue étudiés notamment aux Langues O à Paris, peuple dépeint dans l’essai
1,2 milliard de martiens十二亿火星人 publié en Chine en 2004 et pays présenté via
une soixantaine de localités sur www.passplanet.com
Côté équipement, l’ensemble des traductions disponibles en français, les
commentaires des auteurs qui se sont donnés la peine d’en faire et quelques
versions anglaises complèteront les autres textes taoïstes et de nombreux
textes de sagesse ou de spiritualité. La Vérité est unique, ses voies
innombrables…
Côté démarche, nous présenterons d’abord une traduction mot-à-mot des
caractères chinois ainsi que les variantes principales des autres
traductions. Nous tenterons ensuite de donner du sens à chacune de ces
phrases avant d’oser proposer une nouvelle version, choisissant alors la
version la plus originale, concise et moderne possible.
Notre projet n’est donc pas d’enfermer le Tao dans une énième interprétation
mais de descendre au cœur du texte original pour en percevoir les sens et
l’essence. Chaque lecteur trouvera matière à affiner sa compréhension du Tao
et pourra, s’il le souhaite, tracer sa propre voie.
Le revers d’une telle approche est qu’elle requiert du temps et de l’espace
considérables. Nous nous limiterons ainsi à l’étude des trois premiers
chapitres. Pourquoi trois ? « Le Tao engendre Un. Un engendre deux. Deux
engendre trois. Trois engendre toutes choses. » (42). De ces trois chapitres
découle en effet plus ou moins le reste d’un texte par ailleurs parsemé de
répétitions.
Le premier chapitre, de loin le plus fondamental, socle de l’ensemble de
l’œuvre, véritable guide spirituel, traite du Tao, de sa nature
insaisissable et de notre relation à lui, fonction de notre état d’esprit
ou, plus exactement, de "non-esprit".
Le second chapitre, beaucoup plus concret, traite de la relativité de toutes
choses et des illusions de la division – œuvre du mental – avant de décrire
quelques manifestations du Sage taoïste et notamment sa Non-action
légendaire.
Le troisième chapitre, sans doute le plus corrosif de l’œuvre – ainsi que
l’objet du plus grand nombre de contre-sens – permet de comprendre pourquoi
le confucianisme s’est imposé en Chine au détriment du taoïsme : Lao Zi y
critique ni plus ni moins que l’Etat ! Une analyse contemporaine permet
aussi d’y déceler une remise en cause radicale du système néolibéral et de
ses manipulations consuméristes…
Le Tao, le Sage et le Système. Se pencher avec attention sur ces trois
textes permettra-t-il de lever ensuite les yeux au ciel pour contempler la
montagne taoïste dans toute sa profondeur ? Ce qui est sûr est qu’il serait
illusoire de continuer la lecture sans avoir saisi la portée et les sens de
ces chapitres.
Globalement, ces trois chapitres – dépoussiérés de l’ego des traducteurs et
du poids des traditions – permettent aussi de saisir la stupéfiante
modernité du texte. En dépit d’une datation comprise entre le VIe et le IIe
siècle av. J-C., nous sommes en effet seulement en train de percevoir à quel
point la dualité, la fragmentation et la mécanicité du monde, non seulement
sont contradictoires avec les découvertes de la physique quantique quant à
la réalité de la nature, mais qu’ils nous conduisent à une impasse
écologique et sociale. Il faut faire un avec la montagne pour espérer
arriver au sommet. Il nous faudra reconnaître l’uniformité biologique du
monde pour espérer faire face aux défis de notre siècle. Le XXIe siècle
suivra le Tao ou ne précèdera pas grand chose !
Du 16 janvier 2011 au 8 avril 2013, j'ai publié sur le blog
www.daodejing.fr, phrase après phrase, ma proposition de traduction et de
commentaires des 11 premiers chapitres du Daode Jing de Lao Zi.
L'idée initiale était d'initier un mouvement de réflexions et de
commentaires autour du Tao mais cet objectif n'a pas été rempli, le blog ne
recevant finalement que peu de commentaires par rapport au nombre de
visiteurs...
Je me suis en outre vite rendu compte que le Daode Jing était parsemé de
répétitions et qu'il serait donc plus intéressant de se concentrer, de
manière exhaustive, sur les trois premiers chapitres.
Les Sens du Tao toutefois va naturellement au-delà et cite quantité d'autres
passages du Daode Jing, les plus importants, permettant au lecteur d'en
avoir une vision à la fois globale et extrêmement précise.
Le texte original de Lao Zi est présenté, traduit et commenté phrase après
phrase… pour autant que l’on puisse définir ce qu’est une phrase dans un
Daode Jing ne comportant pas de ponctuation !
La présentation générale observe la structure suivante :
道 可 道 非 常 道.
Présentation du texte en chinois simplifié, tel qu’utilisé en République
Populaire de Chine.
dào kě dào fēi cháng dào
Présentation du texte en Pinyin (utilisé par la République Populaire de
Chine depuis 1958), remplaçant progressivement en Occident la transcription
de l’Ecole française d’Extrême-Orient (EFEO) ou le vieux système Wade-Giles
(datant de 1859, modifié en 1892) qui, sur cette première phrase, aurait
donné ceci : tao k’o tao fei ch’ang tao.
道 [dào] est formé de la clé 辶 [chuò] qui signifie mouvement ou marche...
Traduction et explication (si besoin) de chaque caractère chinois. Un même
caractère ayant parfois plus d’une dizaine de sens possibles (nom, verbe,
adjectif et/ou adverbe), les possibilités de traduction du Tao sont infinies
!
Le Tao que l'on peut énoncer/ prononcer/ exprimer/ expliquer/ saisir/
tracer/ définir, qui…
Présentation des différentes traductions existantes avec une séparation
(Trad.1, Trad.2, Trad.3) lorsque les sens sont clairement différents, ce qui
est assez fréquemment le cas!
« Le Tao qu'on tente de saisir n'est pas le Tao lui-même » (Liou Kia-hway)
Présentation des traductions qui ont ma préférence… ce qui ne signifie pas
qu’il s’agisse nécessairement de la meilleure traduction dans l’Absolu du
Tao !
« Le sens que l’on peut exprimer n’est pas le sens éternel.» (Richard
Wilhelm, Étienne Perrot)
Présentation des traductions qui me semblent être des contresens ou des
interprétations… ce qui ne signifie pas qu’il s’agisse nécessairement de la
plus mauvaise traduction dans l’Absolu du Tao ! L’intérêt de cette section
est de continuer à questionner le texte et favoriser la réflexion.
Le tao exprimable n'est pas Le Tao
Proposition de traduction après mûre réflexion, prenant en compte les
remarques précédentes ainsi que ma propre perception des caractères chinois.
L’idée n’étant pas de paraphraser les autres traducteurs, cette traduction
sera souvent originale, militante – et ponctuellement contradictoire – par
rapport aux versions « officielles ». Elle fera dans ce cas l’objet d’une
explication. Dans la mesure du possible, j’ai essayé de conserver la forme «
minimaliste » ou poétique du Daode Jing, avec un minimum de mots.
Trois fois 道 [dào] dans la même phrase, et pour dire qu’on ne peut le
définir : Lao Zi, à l’instar des autres auteurs taoïstes, ne manque pas
d’humour !…
Nous sortons là du tableau "technique" pour entrer dans le vif du sujet avec
l'explication de la phrase. Une version du Daode Jing vaut en effet surtout
pour les commentaires des traducteurs. Les plus intéressants selon moi à ce
jour sont ceux de Marcel Conche, Henning Strom et Catherine Despeux.
Centrées uniquement sur les trois premiers chapitres, mes explications
peuvent toutefois se permettre d'être un peu plus détaillées... Voir
Extraits.
Perspectives spirituelles
La lecture d'une soixantaine d'ouvrages de textes spirituels m'a fait
prendre conscience de leur similitudes avec les messages du Tao. Une
centaine de citations permettent ainsi d'élargir ses horizons tout en
réalisant que, si les voies sont multiples, la Vérité est unique!
Vivre le Tao ?
Chaque phrase se termine par une section pratique pour vivre le Tao au
quotidien. Un certain nombre de réflexions autour de mes précédents écrits
sur le thème du contentement personnel, de l’obsession de la performance ou
des manipulations. Une ouverture sur le monde moderne et les défis du XXIème
siècle. Un appel à un changement de paradigme et à la remise en cause du
système, dans la perspective d’une société tournée vers les hommes, la
souplesse et la vie...
Globalement, Les Sens du Tao est ainsi un ouvrage unique disposant de
plusieurs niveaux de lecture. Tout comme la montagne, ce livre possède
plusieurs voies d’accès, de la plus simple à la plus personnelle. Il est
conseillé de profiter d’abord du chemin avant, si vous le souhaitez, de vous
arrêter sur chacune des pierres.
Jusqu’à défricher votre propre voie ? Vous avez en effet tout l’équipement
nécessaire pour faire résonner - plutôt que raisonner - les caractères
chinois en vous, méditer sur les sens du Tao et accéder ainsi au panorama
ultime : le vôtre !
Dans cette perspective lumineuse, nous vous souhaitons une plaisante
ascension !
auteur[at]lemendiant.fr
Disponible dans toutes les bonnes librairies
à partir du 23 novembre 2016
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Tao
Extraits
Eau, Tao, Mendiant, Contes à rebours, Contentement
personnel, Mieux-être...