Avant-propos
– Bonjour, je voudrais du bien-être s’il vous
plait.
– Mais bien sûr, quelle qualité désirez-vous ? J’ai là un nouvel
arrivage de bien-être chinois à un prix défiant toute concurrence. A
moins que vous ne visiez la qualité bien de chez-nous ? La nouvelle
collection printemps-automne vient justement de sortir…
– Cher Magazine, je ne suis pas bien dans ma vie. Que puis-je
faire ?
– Chère lectrice : cette question, vous êtes nombreux à vous la
poser et la réponse tient en trois mots : cure de bien-être ! Notre
dossier spécial de ce mois-ci vous donnera toutes les adresses et
tous les conseils pratiques pour bien naître, bien grandir, bien
manger, bien maigrir, bien jouir, bien vieillir et bien mourir.
– Vite, c’est urgent, il me faut du bien-être !
– C’est bien naturel. Pour quelle problématique vous le faut-il ?
Mal-être passager, problème de santé, trouble psychologique ou
simple désir de confort ? Nous avons du bien-être pour faire face à
tous les maux !
– Monsieur, c’est un scandale, mon bien-être est tombé en panne
après juste quelques heures d’utilisation !
– Voyons voir cela… Oui, en effet, il ne marche plus… Êtes-vous sûr
d’avoir bien respecté le mode d’emploi, de vous être donné
suffisamment de mal ?
Ces dialogues surréalistes illustrent quelques unes de
problématiques soulevées par le bien-être de consommation courante.
Le bien-être est tout d’abord, ne l’oublions pas, l’accroche
marketing la plus universellement utilisée par les industriels et
leurs complices publicitaires : quelque soit le produit ou le
service et à défaut de pouvoir décemment promettre le bonheur, on
vous fera miroiter du bien-être! [...]
Mais le bien-être existe aussi en version propre et se déclinera
alors à toutes les sauces, des moins légères aux plus salissantes.
Il existe des centres de bien-être, des restaurants bien-être, des
associations bien-être, des éditeurs bien-être, des contrats
bien-être , des gadgets bien-être, des experts en bien-être et bien
évidemment des formations en bien-être. Qu’autant de personnes
soient toujours dans le mal-être dépasse donc l’entendement : ils le
font exprès ou quoi ?
L’être ne se suffit de toute évidence plus à lui-même. Il lui faut
désormais du bien, des biens. Polyvalent, le bien-être est devenu le
remède de la vie moderne, la petite pilule qui permet d’oublier la
pesanteur du présent, de s’oublier un instant… jusqu’à la prochaine
crise.
Entre la superficialité des remèdes et les erreurs de diagnostique,
de posologie ou d’utilisation, les déçus sont la norme et
garantissent la pérennité du mal-être… et du business bien-être. La
boucle est bouclée.
Tout ce qui précède peut sembler un petit peu provocateur mais je
suis bien placé pour parler des travers du bien-être. Co-fondateur
d’un centre de bien-être à Genève, fondateur de l’Association Suisse
bien-être, auteur auprès de « l’Editeur du bien-être » , je me
coltine du bien-être à longueur de journées depuis 2002…
Intoxication, saturation ou simple indigestion ? Cet ouvrage est le
fruit arrivé à maturité – d’aucuns diraient pourri – de trois
facteurs :
La prise de conscience, tout d’abord, de l’inanité de cette approche
pour faire face à la crise psychologique made in Occident.
Sommes-nous vraiment plus heureux depuis que nous sommes cernés par
le bien-être ? Entre malédictions, malentendus et malfaçons, nous
allons voir ensemble pourquoi le bien-être est un concept
globalement malsain.
Un ras-le-bol, ensuite, face à l’hypocrisie, aux mensonges ou au
mal-être d’un certain nombre de soi-disant acteurs du bien-être.
C’est avec quelques uns de ces personnages hauts en douleurs que
nous entamerons notre décente, osant faire au passage une série de
portraits au vitriol afin de mettre en lumière les incohérences et
paradoxes de ce secteur d’activité. Si les personnes qui travaillent
dans le bien-être n’y arrivent pas, comment croire que la méthode
sera efficace avec les autres ?
Une perspective, enfin. Après avoir touché le fond et perdu sous la
violence du choc les notions d’« avoir », de « progrès » ou de «
bien », nous remonterons plus léger à la surface à la recherche
d’une approche axée sur le simple et fondamental « être ». Plutôt
que de paraître, il faudra bien en effet un jour finir par être !
Ce n’est qu’une fois en contact avec notre essence, débarrassé des
illusions et manipulations du bien-être, qu’il nous sera en effet
possible de faire le choix d’une autre qualité de vie et de
réflexions. La sagesse taoïste nous aidera notamment à reprendre
contact avec notre nature, à « être au monde », à faire la paix avec
nous-mêmes afin de nous accepter dans notre globalité et notre
unicité, par-delà le bien et le mal.
« Quand chacun saisit le sens du bien, le mal apparaît » dit
Lao Zi (2-2). Quand chacun saisira la tyrannie du bien-être, la
liberté de l’être apparaîtra et avec elle la possibilité d’un
véritable contentement et épanouissement personnel. C’est, dans tous
les cas, tout le mal que je vous souhaite ! |