OK, j'avoue: je n'ai pas résisté à la tentation de saupoudrer le conte d'idées que d'aucuns qualifieraient de philosophiques. Or, même s'il m'arrive comme tout un chacun de philosopher, je ne me considère pas comme un philosophe. Et pourtant... le Mendiant est à n'en pas douter un mendiant philosophe! Comment expliquer ce prodige ? Peut-être parce que, plutôt que de se perdre en théories, il se contente de mettre en pratique la définition d'Epicure: « La philosophie est une activité qui procure, par les raisonnements et les discussions, la vie heureuse » La philosophie retrouve ainsi sa fonction première: aider à vivre dans l'action de la réflexion ! Et qui de mieux placé qu'un mendiant pour aider les autres à vivre, n'est-ce pas ? Ce n'est en tout cas pas Samuel ou Jean-Jacques, les deux protagonistes de l'histoire, qui s'en plaindront... Vous trouverez donc à boire et à manger dans le Mendiant: il est épicurien, après tout ! A vous, en fonction de vos envies, de vous mettre à table ou d'observer les plats. A vous d'écouter ou de prolonger les dialogues... Voici dans tous les cas résumées les principales idées et sources d'inspirations... |
Epicure et le contentement hédoniste... Toute la philosophie d'Epicure se résume dans son fameux Tetrapharmakos ou “quadruple-remède”: « le dieu n’est pas à craindre; la mort ne donne pas de souci; et tandis que le bien est facile à obtenir, le mal est facile à supporter.» C’est donc un peu plus subtil que le seul plaisir des sens... Comme le note André Comte-Sponville dans son Que sais-je consacré à la philosophie : « L’éthique épicurienne est un art de jouir mais ascétique. Il s’agit de jouir le plus possible en désirant le moins possible. » L'épicurisme ou le matérialisme d’Epicure
sont donc assez éloignés de ce que nous entendons habituellement...
C'est ce que découvre Samuel dans le passage qui suit: |
– [Le Mendiant:] [...] Comment veux-tu dans ces conditions être serein ? Pourquoi ne pas plutôt nous pencher sur nos fleurs ? Pourquoi ne pas prendre la vie avec philosophie ?
Décidément,
c’est ma semaine, s’amusa Samuel. Mais qu’ont-ils donc tous avec
leur philo ? Il y a une promotion ou quoi ? |
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Pourquoi Epicure a-t-il été à ce point dénaturé et caricaturé ? Lucrèce voyait dans Epicure le premier homme libre. Effectivement, Epicure prône le détachement: vis à vis des dieux qui ne s’occupent pas de nous et vis à vis de la consommation dont il faut user avec prudence et pondération. Epicure nous invite à être content chez nous, en nous-mêmes, grâce à la réflexion philosophique et non pas via la consommation ou les superstitions. Pas étonnant qu’il ait été tant décrié ! On trouve dans le dictionnaire deux définitions contradictoires du matérialisme. D’un côté, la définition antique ou philosophie : considérer « la matière comme seule réalité », se rapprocher de la nature et se détourner du ciel. D’un autre côté, la définition contemporaine : « manière de vivre de ceux pour qui comptent seuls les biens matériels et le plaisir immédiat » Un joli grand écart ! Robert Redeker, dans son article sur le matérialisme et l’athéisme (Marianne, 12 août 2006), nous parle d’Epicure comme du premier matérialiste. Et de préciser la définition du matérialisme : « doctrine qui affirme la liberté et nous délivre des attachements douteux [...] Le matérialisme est avant tout une sagesse ; à ce titre il n’a rien à voir avec ce que ses calomniateurs nomment « matérialisme de notre société », et qui n’est en réalité qu’un idéalisme superstitieux des objets marchands. » Et il s’interroge : « Pourquoi cette
malédiction pesant sur la sagesse d’Epicure [...] ? Parce que le
matérialisme est toujours libérateur [...] Les
impératifs économiques ne sont-ils pas les fictions théologiques
d’aujourd’hui ? Parce qu’il est dangereux pour les puissances, en
incitant les hommes à déserter les illusions qui assurent leur
malheur, sur lesquelles pourtant reposent la richesse et le pouvoir.
» |
– Ou par la distraction ? – En effet, pendant que je discute, je ne vois pas le temps passer et j’en oublie mes douleurs aux jambes. – Vous avez mal aux jambes ? – C’est le problème de mon métier : je reste trop longtemps assis par terre. Il y a deux manières d’avoir mal aux jambes : trop marcher ou ne pas faire assez d’exercice. La santé se situe dans la modération et la prudence. – L’ennui aussi… – Non, pas si l’on se remémore les principes d’Épicure. Il est nécessaire de penser pour s’ennuyer, alors autant penser à autre chose ou bien penser à agir. Il n’y a jamais d’ennui dans l’action ! – C’est une théorie intéressante. – C’est surtout une pratique ! La connaissance théorique ne suffit pas, il convient de mettre en pratique ! Tout le monde sait que la générosité est une vertu, mais seuls ceux qui donnent sont généreux. Les livres ouvrent des portes mais il convient ensuite de les franchir. [...] |
Horace et le Carpe Diem:
Même punition pour le poète Horace! Que n'a-t-on entendu de sottises sur le Carpe Diem,
depuis notamment le beau film "Le cercle des poètes disparus"
de Peter Weir ? Jean-Jacques, lors de sa rencontre avec
la retraitée, commet d'ailleurs l'erreur classique: |
– [La retraitée]: [...] Les superstitions sont encouragées car elles favorisent la docilité mais, en vérité, nous sommes nés sous le signe du berger, pas du mouton ! Évidemment, cette donnée se heurte au leitmotiv du système : vivre avec insouciance au jour le jour. Nous voulons tout, tout de suite, ne supportons plus d’attendre et sommes prêts à hypothéquer notre futur pour quelques instants de consommation compulsive ou de gloire éphémère… – Carpe diem. – Cueille le jour présent… Horace composa aussi ce beau poème :
Bienheureux est celui qui possède le jour, – Oui, à fond la coke ! |
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